Protéger la biodiversité grâce au droit

21 octobre 2022 | Université Libre

Lundi 03 octobre 2022, c’était la deuxième conférence-débat de l’Université Libre des Minimes. Le principe de cet événement est d’expérimenter un format de partage de connaissances et un temps de rencontres où intervenants et participants repartent avec de nouveaux savoirs, de nouvelles pistes de réflexions ou des outils concrets pour aller plus loin. 

Pour cette seconde conférence-débat nous avons abordé l’importance et l’efficacité du droit pour préserver la biodiversité. L’occasion de mettre en avant un outil concret et accessible au plus grand nombre ayant un réel impact sur des décisions politiques qui vont à contresens des enjeux actuels et du droit lui-même. 

Pour nous en parler, nous avons eu le plaisir d’accueillir Dorian Guinard, Enseignant-Chercheur, Maître de conférences en droit public à l’Université Grenoble Alpes (Sciences Po Grenoble) et membre de l’association Biodiversité sous nos pieds (BSNP).

Créée en avril 2020 à l’initiative d’étudiants de Sciences Po Grenoble et de la Faculté de droit de Grenoble, l’association Biodiversité sous nos pieds a fait du droit son arme de protection massive. Elle utilise l’outil contentieux pour préserver la biodiversité en introduisant des recours contre des projets attentatoires aux espèces protégées, notamment en zone de montagne. À travers ses actions, elle sensibilise les publics à la biodiversité du sol et à la vulnérabilité des espèces protégées. Elle forme des personnes à la participation à ce type de recours.


Dorian Guinard (Pierre Mienville, 2022)


(Pierre Mienville, 2022)

Première partie – partage des savoirs

Le rôle de BSNP est de visibiliser et de donner une protection juridique à la biodiversité des sols et des espèces protégées. 

    1. Les outils juridiques pour agir :

BSNP base son action principalement sur la préservation d’espèces protégées, en contestant les projets portant atteinte à ces espèces ou à leurs habitats.

L’article L.411-1 du code de l’environnement prévoit en effet une obligation de conservation des sites, espèces animales et végétales, et de leur habitat quand il y a un intérêt scientifique particulier ou que les nécessités de la préservation du patrimoine naturel le justifient. À ce titre, il interdit la destruction, l’altération, la dégradation, etc. des spécimens d’espèces protégées et / ou de leurs habitats.

Cependant, les projets peuvent obtenir une dérogation à l’interdiction de destruction des espèces protégées (au titre de l’article L.411-2 du code de l’environnement). Pour ce faire, il faut solliciter le préfet, et justifier que le projet répond à  trois critères cumulatifs :

    • le projet répond à une “Raison Impérative d’Intérêt Public Majeur
    • Il n’existe “pas d’autre solution alternative satisfaisante
    • Le projet ne nuit pas au “maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle

Heureusement, L’article L.521-1 du Code de Justice Administrative permet de contester les arrêtés préfectoraux autorisant ce type de projets dès lors que BSNP soutient que les critères cumulatifs ne sont pas respectés. Deux types de recours sont possibles :

    • recours en référé-suspension : pour suspendre l’application de l’arrêté et donc le projet sous 15 à 45 jours. Et ce en attendant d’un jugement sur le fond. Ce recours est important notamment pour suspendre des travaux qui porteraient atteinte de façon irrémédiable aux espèces protégées.
    • recours au fond : pour statuer sur l’annulation de l’arrêté attaqué, et donc du projet.

Avec ces outils, l’association peut passer à l’action et mener des recours contre des arrêtés préfectoraux qui autorisent des projets à contretemps des enjeux actuels, particulièrement en décalage avec les impératifs de protection de la biodiversité et surtout en contradiction avec le droit positif. Nous vous proposons ci-dessous quelques exemples victorieux de l’association.

Ce qu’on retient, c’est l’existence d’outils juridiques efficaces et concrets qui permettent d’assurer le respect du droit de l’environnement et de lutter contre des projets à contretemps des enjeux actuels.

2. Cas concrets : les recours juridiques menés par l’association

Dorian nous a partagé trois actions emblématiques pour lesquelles ils ont mené des actions juridiques qui vont à l’encontre de l’article L.411-1 et qui ne remplissent pas les trois critères cumulatifs de la dérogation de l’article L.411-2.

    • Suspension du remplacement d’un télésiège à Tignes (réserve du Parc national de la Vanoise) : Tribunal administratif de Grenoble, 6 décembre 2020.

Le remplacement : remplacer le télésiège du Marais pour desservir l’Aiguille Percée.

La conséquence : les travaux traversent plusieurs zones protégées, menaçant 19 espèces protégées de faune et flore, dont seulement 2 ont été prises en compte dans l’étude d’impact. Parmi les espèces impactées on retrouve les papillons Apollons et Solitaires.

La dérogation autorisant le projet : une Raison Impérative d’Intérêt Public Majeur (RIIPM) qui est de désengorger le télésiège pour transporter plus de skieurs par heure.

L’insuffisance de la dérogation, selon BSNP : la RIIPM n’est pas recevable au vue de l’absence totale de la prise en compte de 17 espèces protégées dans l’étude d’impact du projet. De plus, le non-respect de la séquence Éviter, Réduire, Compenser (ERC) face à l’absence de restauration et de réhabilitation de la faune et de la flore menacées. Mais le projet se trouve sur un terrain présentant des sensibilités écologiques fortes, ainsi que des zones naturelles d’intérêt écologique faunistique et floristique, deux zones humides, deux zones Natura 2000 et la trame verte et bleue de la région AURA.

État du dossier : travaux suspendu, en attente d’une date d’audience pour le jugement au fond pour l’annulation définitive des travaux


L’Apollon, Parnassius apollo (Linnaeus, 1758)

Le Solitaire, Colias palaneo (Linnaeus, 1761)

    • Suspension de l’extension d’une carrière sur la Commune des Deux Alpes (aire d’adhésion du Parc national des Écrins) : TA de Grenoble 4/10/21 ; Conseil d’Etat, 30 décembre 2021.

L’extension : Le préfet de l’Isère a autorisé le renouvellement et l’extension de la  carrière sur plus de 20 hectares.

La conséquence : impact sur un terrain présentant des sensibilités écologiques fortes à prioritaires en termes d’habitats naturels et d’importants enjeux faunistiques et floristiques. Parmi les espèces protégées impactées on retrouve la vipère aspic et le lézard à deux raies.

La dérogation autorisant le projet : une RIIPM qui est d’exploiter plus de matériaux pour répondre aux besoins légaux en termes de ressources des habitants locaux.

L’insuffisance de la dérogation, selon BSNP :  la RIIPM n’est pas satisfaite car les matériaux ne servent pas à répondre aux besoins des habitants locaux, déjà satisfaits par la précédente exploitation, mais bien à alimenter des projets d’aménagements touristiques des stations de ski alpin qui ne seront plus exploitables du fait du réchauffement climatique. De plus, le projet ne satisfait pas la séquence ERC à cause de l’insuffisance des mesures prises pour, à minima, compenser l’impact des extractions qui sont pour la plupart dans l’aire d’adhésion du Parc National des Écrins. Le Conseil National de Protection de la Nature a donné un avis défavorable à ce projet.

État du dossier : vers une annulation


Lézard à deux raies, Lacerta bilineata (Daudin, 1802)


Vipère Aspic, Vipera aspis (Linnaeus, 1758)

    • Recours en référé suspension et en annulation à Megève : restructuration du secteur de Rochebrune.

La restructuration : le remplacement de deux télésièges et un téléski par deux télésièges débrayables et un téléski pour pouvoir créer une nouvelle piste de ski et des réseaux de neige au niveau de cette nouvelle piste et des réseaux de neige au niveau de celle-ci.

La conséquence : la destruction de 47 espèces protégées, dont l’avifaune (ensemble des espèces d’oiseaux d’une région donnée) dont le Tarier des prés.

La dérogation autorisant le projet : une RIIPM qui est de renforcer l’exploitation commerciale grâce aux télésièges.

L’insuffisance de la dérogation, selon BSNP : La RIIPM n’est pas recevable car elle est se réfère à une étude d’impact basée sur des projections climatiques de 2007/2009 qui prévoit un impact modéré du réchauffement climatique dû à la présence du massif du Mont Blanc. Aujourd’hui, les dernières modélisations climatiques révèlent une perte substantielle d’enneigement à l’horizon 2040-2050 à 1500m d’altitude et des températures négatives de plus en plus rares. Climat qui ne permet pas de justifier la RIIPM avancée. Megève, selon les publications scientifiques relatives aux conséquences du réchauffement sur les Alpes, subira pleinement la réduction de l’enneigement et la hausse des températures qui entraînera des conflits d’usage de l’eau.

État du dossier : Dépôt des recours en référé-suspension et en annulation


Tarier des prés, Saxicola rubetra (Daudin, 1802)

Ce qu’on retient, c’est l’importance de ces recours qui, loin d’être militants, relèvent du bon sens en assurant le respect du droit de l’environnement contre des projets qui tentent d’y déroger en arguant d’un intérêt public majeur, dans le sens d’une économie à contretemps des enjeux actuels plutôt que la préservation de l’environnement (le plus vulnérable de surcroît !).

Deuxième partie – temps d’échange et de réflexions

La deuxième partie était consacrée à un temps d’échange, de questions/réponses et de réflexion autour des projets de l’association. L’occasion pour les membres de BSNP d’apprendre à leur tour, d’échanger des conseils ou des contacts pour mettre en lumière leurs actions afin de les financer et d’agrandir leur équipe de passionnés.

    • Nous nous sommes demandés s’ il existait de nombreux arrêtés préfectoraux qui ne respectaient pas les article L.411-1 et L.411-2 du code de l’environnement et comment l’association choisit ceux contre lesquels elle va faire un recours.

Il existe de nombreux arrêtés préfectoraux qui présentent une forte probabilité d’illégalité vis-à-vis du code de l’environnement. Pour choisir ceux contre lesquels mener une action juridique, BSNP mène une veille juridique (en regardant les Relevés des Actes Administratifs – RAA – publiés chaque semaine par les préfectures), et s’arrête sur les projets dont l’autorisation semble entachée d’irrégularité. C’est un vote à la majorité absolue du Quorum du Conseil d’Administration (8 membres) qui détermine quels actes administratifs feront l’objet d’un recours par l’association.

    • Nous nous sommes demandés ce que conservation veut vraiment dire et si c’est un critère qui est facile à appliquer pour autoriser un projet qui déroge à l’article L.411-1 du code de l’environnement.

La conservation est un critère indispensable à la dérogation de l’article L.411-2 prévu par le “maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle.” Dorian et Pierre, secrétaire de BSNP, nous ont expliqué que chaque projet ayant un impact ou risquant de porter atteinte à l’environnement doit présenter une étude environnementale, dans laquelle doit figurer, au titre de l’article L. 122-6 du code de l’environnement, la séquence Éviter-Réduire-Compenser (ERC). Cette étude implique que “ce rapport présente les mesures prévues pour éviter les incidences négatives notables que l’application du plan ou du programme peut entraîner sur l’environnement, les mesures prévues pour réduire celles qui ne peuvent être évitées et les mesures prévues pour compenser celles qui ne peuvent être évitées ni réduites” (Article L.122-6 du code de l’environnement). Aucun projet n’évite réellement la destruction, peu réduisent et la plupart compensent. Cette compensation est facile à mettre en place pour les végétaux, elle peut être plus complexe pour les insectes et autres animaux même si elle reste envisageable et très pratiquée.

Ce qu’on retient, c’est qu’il existe de nombreux projets à contretemps des enjeux actuels pour lesquels nous avons besoin de garde-fou comme BSNP pour s’assurer du bon respect du droit de l’environnement et s’assurer de la protection de la biodiversité. 

    • Du côté de BSNP il était question de savoir comment trouver des financements et impliquer des gens dans leur association.

Les actions menées par l’association ne sont pas sans coût. Jusqu’à aujourd’hui l’association a remporté la plupart de ses procès lui évitant des coûts de frais d’avocats, remboursés par la partie adverse, pouvant aller jusqu’à 4000 euros devant le Conseil d’Etat. Il leur a été conseillé de plus communiquer sur leur association en mettant en avant les actions juridiques qu’ils ont mises en place jusqu’à présent. Ce sont des faits concrets qui prouvent leur efficacité et leur expertise dans le domaine. Il y a une réelle prise de conscience des enjeux environnementaux et de l’importance de préserver la biodiversité. Notamment en zone de montagne. Il est important pour eux de profiter de cet élan pour faire rayonner leur projet et attirer de potentiels investisseurs.

Pour impliquer des personnes il est nécessaire qu’il continue à parler de leur projet comme ils l’ont fait pendant cette conférence-débat. Ils savent mettre en avant leur engagement, leur passion et leur expertise dans ce domaine. En utilisant les réseaux sociaux où de nombreuses personnes se renseignent et tentent de trouver un moyen de s’impliquer. En mettant en avant l’accueil réservé à tout nouveau membre. Notamment avec un vrai temps de formation aux aspects juridiques employés par l’association. L’occasion d’apprendre des bases juridiques et de mettre un pied dans cet écosystème passionnant pour mener des actions concrètes et impactantes sans être juriste pour autant.

Ce qu’on retient, c’est que rejoindre BSNP c’est avoir la chance de rejoindre une équipe de passionnés et d’engagés, d’accompagner l’association dans son développement, de faire rayonner ses actions en les accompagnant sur la communication, la recherche de financements, sur des aspects techniques en biologie ou ingénierie pour compléter leurs expertises sur des dossiers, les aider à se renseigner sur des projets et à trouver des solutions juridiques pour y répondre

Pour en savoir d’avantage sur l’association : biodiversitesousnospieds.fr

Biodiversité sous nos pieds ne s’arrête pas là. Elle joue un rôle dans la lutte contre les pesticides. Elle est notamment à l’origine du recours national “Justice Pour le Vivant”.

Nous vous donnons ainsi RDV mardi 29 novembre, à 19h aux Minimes pour participer à la deuxième conférence-débat de Dorian Guinard, accompagné cette fois-ci de Pierre Mienvielle : L’encadrement juridique des pesticides, quelles protections pour la biodiversité ? 

Inscription par ici : minimes.space/evenement/encadrement-pesticides/

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